Brusseau

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Rapport scientifique #2 : résumé (version courte)

Objectifs et Questions de recherche

 

Brusseau, pour Bruxelles sensible à l’eau, se fonde sur un constat hydrologique et social : la récurrence et l’importance des inondations sont essentiellement liée à la forte imperméabilisation des sols et au débordement du réseau d’égout unitaire lors des forte pluies. Elles affectent en premier lieu les quartiers situés dans les fonds de vallées bruxelloises (comme à Forest dans la vallée de la Senne et à Jette dans la vallée du Molenbeek) en grande partie habités par des populations déjà précaires. Tache aveugle du système hydro-technique, l’eau de pluie traitée comme un déchet, est gérée dans de larges infrastructures techniques ensevelies, gérées par un cercle restreint d’experts hyper-qualifiés : l’eau est un élément purement technique.

 

Notre objectif est de gérer l’eau sur bases de mesures, dites à la source, décentralisées sur le territoire de l’ensemble d’un sous-bassin versant, se fondant sur des technologies de basse intensité (low technology), appropriables par les habitants. Il s’agit de faire d’un problème technique confiné à un cercle restreint d’experts un problème politique (au sens de polis) impliquant un collectif élargi.

 

Notre hypothèse est qu’il y a une relation d’interdépendance entre la décentralisation des technologies de l’eau et la décentralisation de la gestion de cette dernière. Nous fondant sur la notion de solidarité de bassin versant, nous posons que les Communautés hydrologiques réunissant citoyens et experts peuvent contribuer à la résilience du territoire.

 

Questions de recherche : Il s’agit, donc de se demander ce que requiert l’élaboration collective de nouvelles trajectoires pour les eaux de pluie, hors du réseau d’assainissement. Dans quelle mesure une telle approche apporte une plus-value par rapport aux solutions et modes de gestion conventionnels ? Et si d’aventure, ces mesures décentralisées gérées collectivement offrent des avantages, pourra-t-on les instituer ?

 

Mais pour répondre à cela, il nous manque nombre de connaissances : les dispositifs décentralisés pour la prise en charge des eaux pluviales, adaptés aux spécificités (géomorphologiques, hydrotechniques, politico-institutionnelles, socio-économiques) des territoires, prenant en compte et tirant parti de l’expertise citoyenne sont inexistants à Bruxelles. Le détail des questions de recherche se trouve en partie 1 du rapport scientifique.

 

Le dispositif de recherche en quelques mots

Pour tenter de répondre à ces questions, nous proposons avec des habitants d’élaborer de tels dispositifs en co-créant les Communautés hydrologiques (CH) qui sont nos living labs. Ces CH feront leurs expérimentations sur base de quatre approches participatives :

 

  • L’implantation dans l’espace public et privé d’outils de mesure des flux hydrologiques, leur appropriation par les habitants et par là, leur implication dans un diagnostic scientifique (WaterCitySense)
  • Le développement de cycles d’ateliers dans des intérieurs d’îlots où habitants et étudiants en architecture penseront ensemble des dispositifs visant une gestion plus durables, en termes hydrologiques, des îlots urbains (Ilot d’eau le Retour)
  • La conception de Nouvelles Rivières Urbaines (NRU), partant d’ateliers de cartographie collaborative pour aboutir à des propositions valides et réalisables en terme de gestion de l’eau à la source.
  • L’approche par la recherche historique et archivistique.

 

Résultats de la recherche après deux ans (et un peu plus)

 

La particularité de nos CH est de mettre en lien immédiatement (sans médiations), savoirs, intentions et valeurs des habitants avec ceux des experts, hydrologues, architectes, etc. Ensemble ils cartographient problèmes ou intentions et émettent des hypothèses qu’ensuite hydrologues ou architectes valident ou non par l’étude. Ensemble aussi ils discutent des conséquences de ces choix. Il paraît clair que cette forme de production de savoir apporte des solutions différentes que lorsque des experts seuls sont mandatés par l’administration. La preuve en a été faite sur Forest Nord (situation 1 dans le rapport scientifique 2). Pour des questions de valeurs sociales et environnementales, la CH a jugé qu’il pourrait être utile de remettre en question la nécessité du Bassin d’orage (BO) du square Lainé pour éviter des inondations plus bas dans la vallée. Les solutions proposées par Brusseau apparaissent comme possibles techniquement et socialement pour des coûts nettement inférieurs à ceux de a construction d’un BO. Ce résultat de l’étude Brusseau est extrêmement différent de celui de l’étude réalisée par VIVAQUA en 2016 qui voyait le BO comme seule solution possible.

 

Sur Forest Sud (situation 3 dans le rapport scientifique 2), la démarche de la CH partageant savoirs historiques et connaissances hydrologiques permet de poser l’hypothèse forte que le site de l’Abbaye (qui doit être réhabilité dans le cadre du projet FEDER ABY ou du Contrat de quartier Abbaye) devrait devenir la maille essentielle structurante de la gestion de l’eau à la source dans ce sous-bassin versant, de la même manière que la question de l’eau fut centrale pour l’instauration de l’Abbaye au Moyen âge. Cette approche est particulièrement innovante en liant connaissances historiques et hydrologiques, questions de patrimoine et d’usages.

 

Dans des circonstances très différentes, avec les ilots d’eau (situation 4 dans le rapport scientifique 2), il apparaît clair que même si la recherche de dispositifs communs entre acteurs mitoyens n’est pas aisée, elle est toujours possible.

 

Au total, l’approche de la gestion de l’eau par les CH permet donc de produire du savoir hydrologique et spécifique et plus précis qu’un savoir expert isolé !

 

Une notion aussi inattendue qu’évidente est apparue aux détours de nos travaux, c’est celle de « demande commune ». Elle s’oppose à / complète la notion de commande publique ou privée. Elle se pose en amont de la commande ou vient la complexifier. Elle est une demande d’étude spécifique de connaissance à produire, mais aussi une demande de construction, d’aventure et de réalisation communes. Son principe initial est simple, ce ne sont pas les habitants qui commandent aux hydrologues ou autres architectes, mais c’est en commun, à partir des croisements de savoirs, intérêts et valeurs que des études hydrologiques sont menées, par exemple, pour établir des faits. Ainsi faits et valeurs se combinent autrement que lorsque les institutions opèrent les commandes publiques, par exemple.

 

Dans toutes les situations, la question dès lors est de savoir comment faire proliférer la demande commune (de connaissance, de réalisation, d’aventure…) de la CH vers les institutions et donc les possibilités de réalisation, comment faire combiner autrement faits et valeurs.

 

Dans le cadre de l’étude hydrologique préparatoire au Contrat de rénovation urbaine de l’avenue du Roi (CRU4), Brusseau a réussi à se faire reconnaître comme co-pilote de BE sur la zone (situation 2 dans le rapport scientifique 2). Par exemple, Brusseau a co-défini le périmètre d’étude. Mais le plus important est que Brusseau a pu introduire la demande commune construite en CH au sein de la commande publique par le biais d’un travail de traduction des questions, intentions et savoirs des habitants en questions hydrologiques.

 

Cette prolifération de la demande commune n’est pas toujours aussi aisée, elle passe par des accords spécifiques, de multiples stratégies et aujourd’hui nous obtenons des résultats plutôt encourageants. Une table ronde se co-construit avec Bruxelles Environnement et la Commune de Forest pour inviter les multiples acteurs institutionnels tant de l’aménagement du territoire que de la gestion de l’eau, afin de repenser la situation sur la base des résultats de la CH.

 

Au total, avec Brusseau nous commençons à entrevoir la manière dont nous pouvons répondre à nos hypothèses fondamentales. Nous pensons que la notion de demande commune, partant de nos CH et proliférant par opérations de traduction diverses et de manière réticulaire au travers espaces/agents privés et institutions publiques pourrait annoncer une forme instituée de cette écologie de pratique. Le conflit ne se situe pas tant entre savoirs experts et savoirs profanes – bien que des différences existent entre postures des une et des autres-, que le redéploiement entre faits et valeurs qui rend la demande commune plus politique. La référence au Parlement des choses de l’eau proposé par Bruno Latour pourrait être utile pour rendre compte de cette dynamique instituante.